Jean JANSSIS est né à Ans (Liège), le 8 janvier 1953.
Il est licencié en philologie romane (1975) et agrégé de l’Enseignement supérieur (1976).
Photographe autodidacte, il est reçu au Jury d’Etat en 1986.
Il est professeur de sémiologie et de photographie, à l’Ecole supérieure des Arts Saint-Luc à Liège jusqu’en 2017.
Il compte à son actif des très nombreuses expositions personnelles ou collectives: Liège, Hasselt, Namur, Stavelot, Arlon, Genval, Charleroi, Bruxelles, Ostende, Anvers, Arles, Paris, Toulouse, Eindhoven, Rotterdam, Brescia, Venise, Rome, Milan, Londres, Lausanne, New-York, Santiago du Chili…
Ses oeuvres ont été acquises, notamment, par la Communauté française, la FNAC, le Musée de la photographie de Charleroi, La Bibliothèque Nationale de France, le Museo Ken Damy (Brescia), le Musée de l’Elysée (Lausanne)… et font
partie de collections publiques et privées.
Parmi les publications, notons :
Jean Janssis. Etreintes de terre, Edizioni del Museo Ken Damy, Brescia, 1996,
Passeggiata Silenziosa, Edizioni della Meridiana, Milano, 2006
et Exudat, Editions du Caïd, Liège, 2016.
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L’oeuvre au noir
« Il penche la tête, il esquive, il est ailleurs
Il m’échappe, il me trompe
Il s’échappe, il se trompe
Il est aveugle ». Jean Janssis
Les photographies de Jean Janssis ont de quoi surprendre : brunâtres comme de vieux clichés, gigantesques comme des
affiches, tirées sur un papier crème épais et duveteux, habituellement réservé au dessin et à l’estampe ! Et, pas plus que
le support, l’image n’est lisse non plus. Une sorte de terre ou de charbon semble napper la surface du papier d’où
jaillissent des morceaux de corps nus ou de visages, ici et là baignés d’une lumière violente avant de s’enfoncer à
nouveau dans les ténèbres. A l’érotisme de ces corps voluptueux, s’ajoute la sensualité de la matière, qui émane de ce
papier velouté et des pigments charbonneux qui subsistent en léger relief sur l’épreuve.
A l’ère du numérique, de la profusion d’images colorées et du papier glacé, du pris sur le vif, de l’instantané et du
mouvement, « l’oeuvre au noir » de Jean Janssis, tout de silence et de gravité, évoque plutôt un tableau du Caravage, une
sculpture de Michel-Ange ou une eau-forte de Rembrandt. Serait-il passéiste ?
Non, évidemment ! Jean Janssis, certes, utilise une technique très ancienne, la gomme bichromatée, qui remonte aux
origines de la photographie et abandonnée tout aussitôt1. Cette technique, seule, pouvait lui offrir un contact avec la
matière qui l’intéressait. A force de recherches, d’essais et d’erreurs, il en a redécouvert tous les secrets, exploré et
maitrisé tous les aspects pour conférer à ses images, à la fois une évidente matérialité et une sorte d’intemporalité
pourtant bien ancrée dans le monde contemporain, dans un monde, le sien, à la fois universel et singulier.
Jean Janssis parle de l’homme, il l’épie, le scrute, le piège, et s’interroge. Il avoue être passionné par la beauté physique,
apanage de la jeunesse, soit, la seule, pourtant éphémère, qui se croit immortelle. L’angoisse de la mort est son
corollaire. Qu’à cela ne tienne, forte est l’émotion lorsque à la croisée des chemins surgit un jeune homme…beau
comme un dieu.
Et…si c’était l’inverse ? Les Grecs, déjà, n’ont-ils pas sculpté dans le marbre éternel des images de leurs dieux
semblables à celles de l’homme ? – comment en aurait-il pu être autrement ? – Par le recours à la raison, à la géométrie,
et aux lois mathématiques, ils lui trouvèrent une beauté idéale et une harmonie parfaite, pendant, croyaient-ils, de celle
de l’univers. Cette fascinante beauté, c’est avec la lumière, autre « matériau » d’éternité, que Jean Janssis la façonne et
tente de l’immortaliser.
Qu’il s’agisse d’un portrait, d’un personnage ou d’une partie de son corps, le modèle s’abandonne. Le regard tourné
vers nous, ou vers un ailleurs, est vide d’expression. Son corps se livre sans résistance, à son insu peut-être, et se plie
aux exigences d’une pose savamment étudiée qui met en valeur, magnifiquement sculptés par la lumière, un torse, une
épaule, un pied, un bras, un sexe, une main…
Mais autour de ces corps sublimes, des ombres rôdent qui érodent les contours, s’engouffrent dans les creux et font
disparaitre dans un abîme profond quelques parties du corps inaccessibles, objets peut-être, d’un désir inavouable.
Un trouble s’installe lorsqu’on tente de cheminer dans ce noir dévorant qui envahit l’espace, qui empêche de voir,
dissimule et en même temps révèle les zones d’ombres de l’être, du corps et de l’âme. N’est-ce pas une frontière qui
s’érige, indécise, imprécise entre le noir et le blanc, le chaos et la lumière, le bien et le mal, la vie et la mort ?
Jean Janssis sait que cette beauté absolue convoitée par les Grecs n’a qu’un temps, que son flétrissement est inexorable
et que la souffrance peut se cacher dans ses entrailles.
Voluptueuse, désirable, irrésistible beauté,
Peut-on te toucher, te mettre à l’épreuve, te blesser,
Peut-on, pour mieux en jouir, te priver de liberté,
Peut-on t’enfermer de peur que tu ne t’échappes?
C’est à ce jeu, à ce risque, que se livre Jean Janssis dans un corps à corps avec le modèle. Par le truchement de poses
inconfortables et parfois très sophistiquées, par un cadrage frontal et serré dans un espace étroit et sans issue, par la
présence de rares accessoires significatifs ou symboliques, Jean Janssis élabore une véritable mise en scène de son
dialogue intérieur.
Contorsionné, enroulé, étiré, le corps se plie à toutes les manipulations dans lequel souvent le visage est éclipsé. Ici,
replié en lui-même, le corps est ramassé « en oeuf » et posé délicatement sur une chaise « coquille », ou accroupi sur la
pointe des pieds, la tête enfouie entre les jambes écartées, le corps s’enroule en boule. Là, c’est une pyramide que
forment deux corps renversés, la tête couchée sur le sol. Se chevauchant, ils s’agrippent par les bras étirés, presque
distendus, vers un devant qu’ils ne peuvent pas voir.
Jean Janssis se sert du corps, le recompose, le redessine pour l’enfermer dans une géométrie presque parfaite qui en
gomme les imperfections et en sublime la beauté. Et en contrepoint, pour tout décor, ici, un mur lépreux, métaphore du
temps qui passe et amène l’inéluctable destruction des choses et de la vie. Là, un plancher de bois dont les nervures
évoquent les fissures qui mettent en péril le fragile édifice de la beauté.
Toujours en quête d’éternité, d’amour et de beauté, Jean Janssis se livre dans chacune de ses oeuvres à une dramatique
« mise à nu » et, peut-être déjà, une « mise à mort » de l’homme et de son corps qui n’est autre que le sien.
Anne Gersten